Compossible et incompossible
Le matin papa se lavait la figure au savon. Après s’être
savonné il se rinçait la figure en la baignant abondamment dans ses mains, mais
malgré toute cette eau il restait toujours un peu de savon dans ses sourcils,
et aussi dans les plis du visage. Alors il passait la serviette sur son visage
malgré le savon demeuré dans les plis, mais après le passage de la serviette il
y avait toujours ces plis, qui ne partent pas au lavage.
Assise sur ses genoux je tirais sur la peau de sa figure
pour la déplisser.
A maman je disais « arrête de faire comme ça »
(froncer les sourcils), « et comme ça » (écarquiller les yeux en
haussant les sourcils), pour que disparaissent les trois traits horizontaux
qu’elle avait au milieu du front et les deux traits verticaux qu’elle avait
entre les yeux. Mais elle se défendait, expliquait qu’elle ne plissait le front
ni ne fronçait les sourcils, et que ce genre de plis ne partaient pas. Et
elle devait avoir raison parce qu'à la réflexion, la méthode que je lui
proposais ne pouvait pas marcher : pour défroncer les sourcils, on est
obligé de les hausser.
Le schéma ci-dessus l'illustre bien. Il est tiré de l'excellent livre de Scott McCloud "Faire de la bande dessinée" (Delcourt) dont je recommande chaudement la lecture, particulièrement le chapitre portant sur les expressions du visage. Après avoir défini six expressions de base, l'auteur les combine pour obtenir toutes les nuances du sentiment. Je raffole de la combinaison dégoût + joie (page 91) qui est sous-titrée "owww!", mais j'aime aussi jusqu'à l'emportement dégoût + surprise sous-titré "Tu l'as mangé?".