Aux délinquants, les citoyens reconnaissants.
Les délinquants, par leur action salutaire, préservent la liberté du citoyen ordinaire. Vous ne le croyez pas ? Dans une classe où les élèves se bagarrent on ne punit pas les élèves qui bavardent. Dans une classe bavarde, les élèves paresseux sont laissés en paix. Dans une classe paresseuse, on ne persécute pas l’élève actif qui mâche un chewing-gum. Dans une classe exemplaire, on sanctionne un mâcheur de chewing-gum.
Quand on n’a plus de meurtriers à punir on peut punir plus de voleurs, quand on a fini d’attraper les voleurs on pourchasse plus activement les violeurs, quand la femme violée est vengée, on protège la femme battue, puis l’enfant maltraité… L’adoucissement des moeurs permet de s’attaquer à de nouveaux délits, et d’adoucir les mœurs, et ainsi de suite. Celui qui n’a à craindre ni le meurtre ni le vol ni le viol ni les coups peut enfin se plaindre du tapage. Quand le problème du tapage nocturne sera résolu on luttera contre le tapage diurne.
Le nombre de places disponibles dans les prisons fixe le nombre maximum de personnes qu’on peut incarcérer. Il fixe aussi le nombre minimum de personnes qu’on incarcèrera. L’impression qu’il y a toujours une pénurie de places dans les prisons résulte de la tendance naturelle des Etats à toujours compléter les places de prison devenues vacantes au lieu de les laisser libres, comme un ami véritable verse de bon vin dans votre verre à chaque fois qu’il est vide.
Dans un pays où
les criminels se dévouent nombreux pour remplir les prisons, de nombreux
citoyens peuvent rouler à toute vitesse sur une route ensoleillée, le coude
dehors, les cheveux au vent, la ceinture dégrafée. Ils ont un klaxon qui fait
« tubudubudup ! » et quand ils ont vidé leur canette ils peuvent
la jeter par la fenêtre ouverte. J’aime les pays où l’herbe n’est pas tondue
dans les parcs ; tout le monde piétine le gazon jonché de papiers gras, et ça suffit à le garder ras.